Avant :
Maintenant :
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at Green is Gold Studio,
Copenhagen
Vegetal Passion
par Aurélien Mole
Des espaces dépeuplés à perte de vue, traversés de temps en temps par des nomades qui s’arrêtent à peine plus de quelques instants. La lumière ne décline pas et la nuit survient brusquement. Une nuit silencieuse. Mes ancêtres ont combattu pour des territoires autrement plus peuplés, une place au soleil qu’il fallait défendre. De ces combats ininterrompus, j’hérite une forme d’endurance, une volonté farouche de survivre. Je suis une sauvage.
Mes sœurs qui les premières ont été emmenées en Occident, ont été l’objet d’une curiosité exotique. Elles ont été étudiées, classées selon les bénéfices que l’on pouvait en tirer. On s’extasiait alors sur leurs formes étranges et leurs atours singuliers si différents des beautés européennes. Et nous, trop contentes de quitter nos contrées surpeuplées, avons profité du vide environnant pour nous déployer malgré le froid. Nous qui avions toujours vécu dans l’ombre, étions soudain baignées de lumière et d’attention.
Quittant les grandes cages vitrées qui nous avaient tout d’abord accueillies, nous avons été invitées dans des intérieurs où un étrange mobilier mimait des formes qui nous étaient familières. Il faisait semblant de croître, de s’élancer en courbes graciles dans l’exiguïté domestique de salons ou de salles à manger. Quelle chose étrange qu’un intérieur quand vous avez toujours vécu à l’air libre! Pas un souffle de vent, pas un bruit. Un espace organisé où tout se dédouble en une existence symbolique justifiant l’emplacement et l’usage de tout ce qui y participe. En apparence, rien de plus éloigné du chaos des jungles. Au foisonnement d’une vie organique obstinée se substitue une réalité complexe de signes dont la lutte pour l’espace, quoique moins visible, n’en est pas moins violente.
Quand cet espace est-il devenu toxique ?
Je crois que cela date d’un changement dans l’environnement, un changement dans le goût pour l’ornemental. Un passage de l’espace domestique vers un autre type de lieu habité différemment. Bizarrement, l’on nous a attribué la tâche d’adoucir ces espaces impersonnels. D’un coup, nous partagions avec ces meubles qui avaient mimé les formes végétales, la charge de devoir représenter une entité naturelle pour atténuer ce fait: l’ère industrielle avait éloigné l’Homme occidental de la Nature comme jamais auparavant. La spécialisation de chaque individu au sein d’un système d’échanges avait produit une explosion des activités de type tertiaire ne nécessitant aucun espace spécialisé pour se développer. Au contraire, il fallait des lieux standardisés dont la chlorophylle qui teintait nos feuilles devait absorber la dureté autant que la lumière crue des tubes fluorescents.
L’origine de ces espaces blancs est peut-être à trouver du côté de l’art ? Avec son bâtiment manifeste de la Sécession, Joseph Maria Olbrich avait proposé aux arts un nouveau standard tout de blancheur et d’étendue. Des espaces mentaux semblables à celui que dessine les limites de la page blanche. Mais à la différence d’une feuille de papier dont le grain de la pulpe végétale invite au remplissage, le blanc du mur n’est pas une surface d’inscription, c’est un blanc d’une autre nuance, une surface de dépôt qui finit toujours par repousser ce qu’on lui impose. Comme l’huile repousse l’eau ou le vinaigre. Les expositions sont transitoires et glissent à la surface du cube blanc. Accompagnant ce mouvement, j’ai glissé moi aussi. La nature, même sous sa forme la plus ornementale, a semblé soudain étrangement incongrue. Enfin, les images numériques propices à la retouche m’ont privée de ma fonction dissimulatrice des excroissances électriques et autres prises de courant. On ne me voit plus guère dans les musées et les expositions qu’exceptionnellement, lorsqu’un artiste en fait la demande expresse. Je suis aujourd’hui dans la pièce de l’agence Les ready-made appartiennent à tout le monde intitulée « Pétition de principe », installée dans l’exposition Authors and the found object sise au MOMA de New-York du 6 mai au 27 août 2030.
Des espaces dépeuplés à perte de vue, traversés de temps en temps par des nomades qui s’arrêtent à peine plus de quelques instants. La lumière ne décline pas et la nuit survient brusquement. Une nuit silencieuse. Mes ancêtres ont combattu pour des territoires autrement plus peuplés, une place au soleil qu’il fallait défendre. De ces combats ininterrompus, j’hérite une forme d’endurance, une volonté farouche de survivre. Je suis une sauvage.
Vegetal Passion
by Aurélien Mole
Deserted uninhabited spaces as far as the eye can see, occasionally crossed by nomads, who stop for a few moments only. Light doesn’t fade; the night comes on suddenly. A silent night. My ancestors fought for lands that were far more populated, a place in the sun that had to be defended. Those endless battles have left me a kind of endurance, a fierce will to survive. I am wild.
My sisters, who were the first to be brought to the West, have been an exotic curiosity. They have been studied and classified according to the profit that can be made from them. People would go into raptures over their strange shapes and singular attire, so different from European beauties. And all too happy to leave our teeming regions, we have taken advantage of the emptiness around us to spread out despite the cold. We who have always lived in the shadows were suddenly bathed in light, showered with attention.
Leaving the large glass-enclosed cages that had been our first home, we were invited inside where strange furniture mimicked shapes familiar to us. It pretended to grow and shoot out in slender curves inside the narrow domestic confines of living and dining rooms. What a strange thing is an interior when you have always lived outdoors! No wind, no sound. An organized space where everything divides into a symbolic existence that justifies the location and use of everything taking part in it. Outwardly, nothing is further from the chaos of the jungle. The profusion of an obstinate organic life is replaced by a complex reality of signs whose struggle for space, though invisible, is no less violent.
When did this space become toxic?
I think it dates back to a change in the environment, a change in the taste for the ornamental. A shift of household space towards another type of place that is inhabited differently. Oddly enough, we were given the job of rendering these spaces softer, milder. We suddenly shared with those pieces of furniture that had mimicked vegetal forms the responsibility of having to represent a natural entity in order to attenuate the following fact: the industrial era had distanced Western Man from Nature as never before. The specialization of each individual within a system of exchange had produced an explosion of service-sector-type activities needing no specialized space to develop. On the contrary, standardized sites were needed whose harshness, along with the cold light given off by fluorescent tubes, would be absorbed by the chlorophyll tinting our leaves.
Is the origin of these white spaces to be found in art perhaps? With his clearly Secessionist building, Joseph Maria Olbrich proposed a new standard for the arts, all white and stretching out all around the visitor. Mental spaces similar to the space sketched out by the limits of the white page. But unlike a sheet of paper, which, thanks to its vegetal pulp, has a grain that calls out to be filled, the white of the wall is only a surface for inscription; it is a blank of a different nuance, a surface deposit that always ends up repulsing whatever is imposed on it. Just as oil repulses water or vinegar. Exhibitions are temporary things and slide over the surface of the white cube. Accompanying this movement, I slid as well. Nature, even at its most ornamental, suddenly seemed strangely incongruous. Finally, digital images, which are readily reworked, have deprived me of my role as a concealer of electric outgrowths and other power sockets. I’m only rarely seen now in museums and art shows—when artists specifically request my presence.
Today I am in a piece by Les ready-made appartiennent à tout le monde entitled “Pétition de principe” (Petition in Principle), which has been set up in the Authors and the Found Object show running at MoMA in New York from 6 May to 27 August 2030.
Deserted uninhabited spaces as far as the eye can see, occasionally crossed by nomads, who stop for a few moments only. Light doesn’t fade; the night comes on suddenly. A silent night. My ancestors fought for lands that were far more populated, a place in the sun that had to be defended. Those endless battles have left me a kind of endurance, a fierce will to survive. I am wild.
Green Culture
par Dorothée Dupuis
Au fur et à mesure que nous progressons dans l'Anthropocène, et que les populations humaines se concentrent dans les villes, notre lien à la nature devient de plus en plus distendu, abstrait. Les grandes corporations ont bien compris comment exploiter cette tendance angoissante et irréversible, et peuplent notre environnement de références à une nature idéalisée. Ainsi McDonalds a-t-il récemment changé le rouge et le jaune historiques de son logo pour un camaïeu moutarde et vert sapin[1],nettement plus eco-friendly, et ce dans une tentative désespérée de rattraper son concurrent Starbucks depuis longtemps aguerri aux techniques lucratives de la green culture.
De leur côté, les curateurs mettent des plantes dans leurs expositions. Ce n'est pas un phénomène nouveau ; de fait, dans la première moitié du 20ème siècle, les plantes appartenaient au musée au même titre que les cendriers et les mises à distance massives dans les salles d'exposition. Elles participaient d'une certaine conception muséographique que la tyrannie greenbergienne du white cube vint balayer de façon arbitraire à partir des années 1950. Les plantes sont d'ailleurs réintroduites aujourd'hui dans les expositions à peu près pour les mêmes raisons qu'autrefois, à savoir leur potentiel décoratif, neutre et bienveillant, ainsi que leur capacité à signifier une transition entre différents espaces.
J'ai moi-même installé des plantes dans une exposition[2] organisée à la Galerie Alain Gutharc en juin 2013, intitulée Interior 301. Le titre faisait référence au numéro de mon appartement à Mexico, ville où je réside depuis maintenant un an. L'exposition rassemblait les œuvres de six artistes partageant un certain goût pour l'abstraction et l'utilisation de motifs complexes dans leur œuvre. Tous produisaient leurs motifs selon des techniques artisanales personnelles, rappelant parfois les mouvements Arts and Crafts ou les pratiques outsider. Le choix d'ajouter des plantes dans la galerie, un parfait white cube, et au sein d'un projet totalement institutionnel, obéissait à une double intention. Premièrement, évoquer la forme de l'appartement à travers l'ajout de plantes d'intérieur. Les plantes jouaient ce rôle de transition évoqué précédemment, et ramenaient l'espace de la galerie à un espace domestique universel[3] exempt de références stylistiques reconnaissables, comme le mobilier par exemple. En effet, je cherchais à suggérer l'espace de mon appartement mexicain comme un espace mental vacant habité par mes recherches curatoriales de l'époque, et à montrer les influences que pouvait avoir ce changement d'environnement sur celles-ci. Le choix des plantes tropicales était bien sûr destiné à renforcer cette sensation, ainsi qu'à commenter de façon légèrement ironique la notion fourre-tout « d'exotisme », qui nous avait d'ailleurs elle-même animée à l'heure de notre départ[4].
Cette conception d'un exotisme générique était d'ailleurs renforcée par le deuxième point : n'ayant pas de compétences botaniques particulières, j'avais choisi les plantes sur des critères uniquement formels et subjectifs, selon le plaisir que m'inspiraient leurs dessins et couleurs dans une lointaine association avec les œuvres de l'exposition. Ces rapprochements formels me semblaient souligner de façon simple la spontanéité travaillée des œuvres de l'exposition et l'aspect organique de leurs compositions. Dans le monde végétal, la fonction génère la forme, et c'est l'homme qui ensuite y décèle la vertu esthétique ; métaphore simple des méthodologies employées par ces artistes qui laissaient souvent le hasard s'inviter dans leur travail, dans l'idée analogue que le processus constitue le cœur de l'œuvre, bien avant que les éventuelles questions de goût ne viennent la sanctionner une fois achevée.
Je souhaitais à travers ce dispositif parler du lien ténu entre nature et culture, entre puissance des contextes et autonomie de l'œuvre d'art, entre réalisme et abstraction, mais de façon non autoritaire. La juxtaposition des plantes et des œuvres initiait des rapprochements d'idées basés sur l'expérience sensorielle, et non sur des concepts théoriques énoncés, d'ailleurs absents du communiqué de l'exposition. Je ne suis ni sociologue, ni historienne, ni scientifique, et encore moins botaniste. Je suis curatrice, et ma pratique est basée sur les œuvres et leur existence dans certains espaces et contextes. C'est ce que j'ai tenté de souligner avec ce dispositif particulier, que j'analyse rétrospectivement aujourd'hui. Le curateur est, tout comme les artistes, un être opportuniste : et les plantes ne sont rien de plus ici qu'un autre symptôme culturel exposé par le biais de ce Doppelgänger étrange qu'est l'art contemporain pour la société, un signifiant isolé, livré en pâture à l'interprétation : un tribut à cette green culture qui nous entoure. Je n'ai pas particulièrement mauvaise conscience : après tout, l'Equateur lui-même a renoncé à vendre la potentielle gigantesque économie de production de CO2 que constituait la préservation de sa forêt équatoriale[5], pour choisir d'exploiter les gisements d'hydrocarbures présents dans son sous-sol : liquidation pure et simple du mécanisme économico-écologique le plus ambitieux inventé ces dernières années. L'exode rural continue ; et j'ai depuis longtemps réintégré mon immense forêt de béton.
Avant :
Maintenant :
Voir à ce sujet l'excellent livre
de Jack Goody, La Culture des Fleurs (1993, Le Seuil, Paris) sur le rôle des fleurs dans la vie quotidienne, privée et cultuelle du monde entier depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours.
Je parle de mon compagnon Yann Gerstberger et moi-même, partis de Marseille pour Mexico en
Novembre 2012.
Une image d'une tapisserie
de Yann avec une plante :
Green Culture
by Dorothée Dupuis
As we advance further and further in the Anthropocene, and human populations congregate in cities, our connection with nature is becoming increasingly loose and abstract. Large corporations have grasped all too well how to exploit this disturbing and irreversible trend, and are sowing our environment with references to an idealized nature. McDonalds, for one, recently changed the historical red and yellow of its logo to a color scheme featuring mustard yellow and forest green,[1] clearly more ecofriendly. The multinational did so in a desperate attempt to catch up with its competitor Starbucks, which is seasoned in the lucrative techniques of green culture.
As for curators, these art-world professionals are integrating plants in their shows. And it isn’t a new phenomenon; in fact, in the first half of the 20th century, plants were part and parcel of museums as much as ashtrays and robust barriers in exhibition galleries were. They share a certain conception of the museum display which the Greenbergian tyranny of the white cube arbitrarily swept away in the 1950s. Plants, moreover, have been reintroduced into exhibitions today more or less for the same reasons they were employed in the past, namely for their neutral, benevolent decorative potential, as well as their capacity to signify a transition between different spaces.
I, too, installed plants in a show called Interior 301,[2] which opened at Galerie Alain Gutharc in June of 2013. The title was a reference to the number of my apartment in Mexico City, where I had been living for a year. The show featured works by six artists who shared a certain taste for abstraction and the use of complex motifs in their work. All of them produced their motifs according to personal artisanal techniques, which at times recall the Arts and Crafts movement or outsider art. The decision to add plants to the gallery, a perfect white cube at the heart of a totally institutional project, was my answer to a dual intention. First, it was about evoking the form of the apartment by adding indoor plants. The plants played that role of transition raised above, bringing the gallery space back to a universal household space[3] that is free from any recognizable stylistic references like furniture, for example. I was looking to conjure up the space of my Mexican apartment as a vacant mental space filled with my curatorial investigations of that day and age, and to show the influences that that change of environment might have on them. The choice of exotic plants was of course meant to reinforce that feeling as well as comment in a slightly ironic way on the all-purpose notion of “exoticism,” which was, moreover, a driving force for us at the time of our departure.[4]
This idea of generic exoticism was reinforced by my second point, namely that since I can boast no particular competency in botany, I had chosen the plants solely for formal, subjective criteria, according to the pleasure their shapes and colors afforded me in a distant association with the works in the show. These points of comparison in terms of form seemed to me to underscore in a simple way the studied spontaneity of the featured works and the organic aspect of their compositions. In the plant world, function generates form, and it is man who then detects an esthetic quality, simple metaphor of the methodologies employed by these artists, who often allow chance to show up in their work, in the analogous idea that the process constitutes the very core of the work of art, well before possible questions of taste come to sanction the piece once it is completed.
Through this device I wanted to speak of the connection, tenuous though it is, between nature and culture, the power of contexts and the autonomy of the work of art, realism and abstraction, albeit not in an authoritative way. The juxtapositions of plants and artworks brought forth ideas in parallel that are based on sensory experience rather than stated theoretical concepts—the latter being absent from the show’s press release, moreover. I am neither a sociologist, nor a historian, nor a scientist, and even less a botanist. I am a curator, and my practice is based on works of art and their existence in certain spaces and contexts. That is what I tried to stress with that particular arrangement, which I am analyzing retrospectively today. Just like artists, the curator is an opportunistic being, and the plants are nothing more here than another cultural symptom brought to light thanks to that strange Doppelgänger that contemporary art is for society, an isolated signifier offered up as fertile ground for interpretation. A tribute, in other words, to the green culture around us. I haven’t got an especially guilty conscience. After all, Ecuador itself has abandoned the idea of selling off the potentially gigantic savings in CO2 output that existed in preserving its equatorial forest,[5] choosing rather to exploit its underground hydrocarbon deposits: the liquidation pure and simple of the most ambitious ecologico-economic mechanism of recent invention. The rural exodus continues; and I returned to my immense concrete forest long ago.
Before:
After:
See the excellent book by Jack Goody, The Culture of Flowers (Cambridge University Press, 1993) on the role of flowers in both cultural and private daily life the world over from antiquity to today.
I am speaking of my partner, Yann Gerstberger, and myself, who left Marseille for Mexico in November 2012.
An image of a tapestry by Yann featuring a plant:
Vegetal Passion
C'est un fait, nous visitons chaque mois plus d'expositions virtuellement que nous n'en parcourons physiquement. Notre confort domestique couplé à notre lieu de résidence relativement reculé nous pousse d'ailleurs à passer de plus en plus de temps devant nos écrans à constituer nos collections d'images idéales, les stockant frénétiquement sur nos disques durs.
Les blogs et sites que nous parcourons quotidiennement regorgent d'images de plantes -souvent reprises pour leurs qualités graphiques - à tel point qu’il est aujourd’hui difficile pour les 'surfeurs glaneurs' que nous sommes, de ne pas nous mettre de côté une image feuillue après l'avoir vue apparaître dans le flux de nos dérives. C’est donc en tant que “curateurs d’art virtuel”, appliquant instinctivement le récent concept de “content curating”,que nous avons pioché dans ce terreau fertile afin de nourrir, nous aussi, notre végétale passion. Tantôt chasseur, tantôt cueilleurs.
A l'origine, ce projet s'appuie sur des photographies d'expositions (notamment issues des fonds Christian Zervos et Cahiers d'Art de la bibliothèque Kandinsky) des années 1940-1960, époque de pré-standardisation muséographique, durant laquelle les plantes décoratives, dites 'd'appartement', semblaient 'naturellement' ponctuer les salles d'exposition (en France comme outre-Atlantique). Dans ces images d'archives, la plante apparaît comme un élément constitutif du mode de présentation institutionnel au même titre que les sièges et les tables. Tour à tour « paravent naturel » dissimulant les extincteurs ou mur végétal empêchant le visiteur de s'aventurer dans les recoins réservés au personnel, la plante verte remplissait ainsi toutes sortes de missions sans jamais être remise en question. Ou peut-être était-elle destinée à dépolluer les espaces d'expositions des critiques malintentionnées ? En tant qu'organisme vivant doué d'un fort pouvoir d'adaptation, elle comble sans doute ce besoin qu'a l'homme de vouloir tout éduquer, dompter, domestiquer, même la plante. Maintenant banalisée, standardisée elle semble jouer malgré tout un jeu décomplexé, évoquant la mixité sans frontière dans ce grand mezze de références qu'est internet. Mais attention, celle-ci nécessite soin et attention, à moins qu'elle ne soit en plastique.
De nos jours, tandis qu’elles s’imposent comme une évidence à la maison ou à l'atelier, les plantes d’intérieur ont envahit les galeries d'art. Appréciées par les artistes pour leur valeur plastique, mais aussi leur référence à une certaine nature domestiquée, elles invitent à un questionnement sur la fonction décorative des œuvres d'art. Cette exposition prend ainsi en compte la récente prolifération de plantes d'intérieur dans les œuvres d'artistes contemporains, à travers une sélection minutieuse et non exhaustive de photographies d’œuvres. Aux images de plantes et images d'expositions historiques (au Centre Pompidou ou au Walker Art Center notamment), s'entremêlent des images d'œuvres de vingt artistes (Darren Bader, Gabriele Beveridge, Simon et Tom Bloor, Marcel Broodthaers, Koenraad Dedobbeleer, Andreas Ervik, Ditte Gantriis, Pierre Huyghe, Jiří Kovanda, Margaret Lee, Tobias Madison, Mathieu Mercier, Jessee Moretti, Katja Novitskova, Oliver Osborne, Edgar Orlaineta, Nam June Paik, André Piguet, Mandla Reuter, Florian Slotawa) ainsi que des projets spécifiques de Laura Aldridge, Ditte Gantriis, Hayley Tompkins, Travess Smalley et Pedro Wirz. Invités à produire des pièces digitales en résonance avec leur pratique artistique, ces cinq artistes invités ont tous un intérêt particulier pour les végétaux, qu'ils les collectionnent, s'en inspirent ou les intègrent à leur travail.
Laura Aldridge a réalisé un GIF animé, mettant en scène une imagerie représentative de son travail entremêlant éléments floraux et morceaux de corps dans une animation douce et sensuelle.
Hayley Tompkins a fait subir à un manuel d’entretien pour plantes d'intérieur le même traitement qu'à ses œuvres récentes, les plongeant dans des couches successives de peinture de pigments pour aboutir à un résultat délicat et organique.
Le travail de Ditte Gantriis se nourrit généralement d'une imagerie administrative (bureaux, salles d'attente, standards téléphoniques) dans laquelle les plantes jouent un rôle particulier et qu'elle détourne graphiquement. Pour Vegetal Passion, elle a produit un poster éponyme, à mi-chemin entre l'œuvre et l'objet publicitaire.
Travess Smalley a détourné et retravaillé numériquement une image de sa série photographique Floral Poetics mettant en scène des végétaux colorés, donnant à voir une nature transformée.
Enfin, Pedro Wirz réalise depuis plusieurs mois des séances de méditation plongeant le spectateur dans une jungle dense dans laquelle chacun doit, en fin d'expérience imaginer une sculpture et la dessiner. L’artiste réalise ensuite certaines de ces sculptures imaginaires les considérant comme des collaborations.
Sous son aspect non scientifique, expérimental, voir subjectif, Vegetal Passion a été pensé comme un accrochage de collection, une jungle domestiquée, ambiguë et pittoresque dans laquelle se côtoient les images, textes et documents de natures différentes sans hiérarchie. Armés d'une méthodologie parfois hasardeuse, notre volonté n'est pas de résoudre rigoureusement des questions, mais de proposer des mises en relations singulières faisant naître des associations d'idées plus ou moins heureuses mais toujours étonnantes.
Nous laisserons cette exposition se métamorphoser au gré des saisons et des floraisons, avec des ajouts et des mutations discrètes, à découvrir et observer comme on visite un jardin d’hiver.
Christian Zervos (1889 – 1970)
est un critique d'art et écrivain Français d'origine Grecque, fondateur de la revue Cahiers d'art
Cahiers d'Art est une revue
artistique et littéraire française fondée en 1926 par Christian Zervos et publiée jusqu'en 1960.
Vegetal Passion
The fact is each month we visit more art shows virtually than we physically make our way through. Our domestic comfort, coupled with our relatively distant place of residence, is also pushing us to spend increasing amounts of time before our screens putting together our collections of ideal images, frantically storing them on our hard drives.
The blogs and sites that we go over daily teem with images of plants - often selected for their graphic qualities - so much so that today it is difficult for the “surfer-gleaners” we have become not to put aside a leafy image after having seen it pop up in the course of our internet wanderings. To nourish our vegetal passion then, we have been digging around in this fertile soil as “curators of virtual art,” instinctively applying the recent concept of “content curating.” Now hunter, now gatherer.
From the start the present project has been based on exhibition photographs (notably from the Christian Zervos and Cahiers d’Art Collection of the Kandinsky Library) from the years 1940-1960, a pre-standardized period in exhibition layouts and design, when decorative plants, so-called “house plants,” seemed to “naturally” punctuate art show venues (both in France and the Americas). In these archival images, plants were elements of the institutional style of display just as much as tables and chairs were. By turns “natural screens” for hiding fire extinguishers and vegetal walls for stopping visitors from venturing into areas reserved for personnel, green plants carried out all kinds of missions without ever being called into question. Or were they perhaps meant to purify the air of exhibition venues vitiated by malicious critics? As living organisms endowed with a powerful force for adaptation, they answer that human need to train, tame, and domesticate everything, even plants. Now rendered banal and standardized, they seem to play an uninhibited game all the same, suggesting a borderless diversity in that grand meze of references that is the internet. But be forewarned: plants require care and attention, unless they are of the plastic kind.
Today, at a time when they are de rigueur in homes and workshops, indoor plants have taken over art galleries. Appreciated by artists for their formal qualities but also for their reference to a certain tamed nature, they invite us to question the decorative function of the work of art. This show takes a look then at the recent proliferation of indoor plants in the work of contemporary artists through a meticulous, though far from exhaustive, selection of photographs of artworks. Images of plants and historical exhibitions (at the Pompidou Center or the Walker Art Center in particular) are freely mixed with images of artworks by twenty artists (Darren Bader, Gabriele Beveridge, Simon and Tom Bloor, Marcel Broodthaers, Koenraad Dedobbeleer, Andreas Ervik, Ditte Gantriis, Pierre Huyghe, Jiří Kovanda, Margaret Lee, Tobias Madison, Mathieu Mercier, Jessee Moretti, Katja Novitskova, Oliver Osborne, Edgar Orlaineta, Nam June Paik, André Piguet, Mandla Reuter, and Florian Slotawa), along with specific projects by Laura Aldridge, Ditte Gantriis, Hayley Tompkins, Travess Smalley and Pedro Wirz. Invited to produce digital works echoing their current practice, all five of these latter artists have shown particular interest in plants, which they normally collect, draw inspiration from or include as an integral part of their work.
Laura Aldridge has produced an animated GIF depicting imagery that is representative of her work, weaving together floral elements and parts of the body in a gentle, sensual piece of animation.
Hayley Tompkins has subjected a how-to manual on indoor plant upkeep to the very same treatment that is featured in her recent works, enveloping the booklet in succeeding layers of pigment to achieve a delicate, organic result.
Ditte Gantriis’s work generally draws on administrative imagery (offices, waiting rooms, switchboards) in which plants play a special role and which the artist graphically reappropriates. For Vegetal Passion, she has created an eponymous poster that is midway between a work of art and an advertising object.
Travess Smalley has reappropriated and digitally reworked an image from his photo series Floral Poetics, producing careful arrangements of colored plants and showing a nature transformed.
Finally Pedro Wirz has been doing meditation sessions for several months now, plunging the viewer in a dense jungle in which each person, at the end of the experience, has to imagine a piece of sculpture and draw it. The artist would then make some of these imaginary sculptures, seeing them as joint works of art.
In its nonscientific, experimental, even subjective aspect, Vegetal Passion was designed as a collection display, a tamed, ambiguous, picturesque jungle in which very different types of images, texts and documents are exhibited all together with no special preference. Though we are armed with a methodology that occasionally proves a bit risky, our wish is not to rigorously resolve questions but rather to propose singular connections and parallels, giving rise to more or less happy associations of ideas that are sure to surprise just the same.
We are going to allow this show to change with the seasons and the blossoming of this or that flower, with discreet additions and alterations to be discovered and viewed the way one might visit a winter garden.
Christian Zervos (1889 – 1970),
a French art critic and writer of Greek descent, was the founder of the review Cahiersd'art
Cahiers d'Art was a review
for the arts and literature founded in 1926 by Christian Zervos. It was published until 1960